Discours du Prix Jean Dumur 2023

Fati Mansour

Bonjour à tous

Un immense merci au jury du Prix Dumur.

Je suis évidemment extrêmement honorée et très émue de recevoir ce prix qui défend les valeurs essentielles du journalisme.

Je suis surtout heureuse car le jury reconnaît ici l’importance de la chronique judiciaire et des nombreux thèmes qui l’accompagnent. On pense bien sûr à la prison, à la psychiatrie légale, au travail de la police ou encore au débat sur les différentes formes de criminalité.

Ce sont autant de sujets chronophages, parfois techniques et ingrats, souvent délicats et humainement difficiles, mais qu’il faut absolument continuer à défendre à l’heure où les médias sont sous pression et que les rédactions sont décimées.

Quand Isabelle Falconnier m’a annoncé cette très bonne nouvelle, j’ai replongé dans un lointain passé pour retrouver les origines de mon addiction, j’ose ici le terme, aux procès.

En fait, j’y suis tombée un peu par hasard ou plutôt grâce à Pierre Dufresnes, qui était alors le rédacteur en chef du Courrier et l’un des membres fondateurs du prix Dumur.

A l’époque, je sortais à peine de l’université, je faisais des piges et je voulais commencer un stage pour devenir journaliste, le seul métier auquel je me sentais destinée depuis la lecture de mon premier Tintin.

Pierre Dufresne m’a proposé de reprendre la place du chroniqueur judiciaire attitré qui avait décidé de devenir chauffeur de taxi.  J’avais hérité d’un petit bureau sans fenêtre avec une table et une machine à écrire.

Et la tâche de faire vivre cet univers, ces acteurs et son vocabulaire encore totalement inconnus pour moi.

Ça a été le début de cette grande aventure qui dure encore aujourd’hui. 35 ans après...

Je profite de cette occasion pour remercier tout particulièrement quelqu’un qui a été à la fois un modèle de journalisme, une consoeur concurrente, et enfin une collègue complice et inspirante.

C’est évidemment Sylvie Arsever à qui je dois beaucoup et qui m’a fait très vite comprendre l’importance de la nuance dans cet univers où rien n’est jamais noir ou blanc et où les monstres n’existent pas.

Car le procès, c’est une sorte d’école de la complexité où on est au plus près des individus et de toutes leurs contradictions. C’est ce qui fait tout son intérêt.

Depuis vingt-cinq ans que je travaille au sein de la rédaction du Temps, j’ai eu la chance de bénéficier d’un soutien constant pour continuer à faire de la chronique judiciaire une spécialité et pour consacrer à cette matière si riche la place qui lui revient.

Je tiens à saluer ici le travail de Cecilia Bozzoli, la talentueuse et fidèle dessinatrice qui m’a accompagnée à tous les grands procès depuis le début du journal, et sans qui l’exercice n’aurait certainement pas eu la même saveur.

Couvrir la justice, c’est voir défiler une grande histoire humaine. Un procureur disait que la salle d’audience était le centre géographique du malheur, et il avait bien raison.

Mais au-delà de la narration de ces affaires parfois terribles, qui est le cœur du métier, il s’agit aussi de porter un regard critique sur le fonctionnement de l’institution.

C’est d’ailleurs pour assurer ce contrôle démocratique que les audiences sont publiques et c’est pourquoi il est important de ne pas délaisser cette matière au profit de contenus toujours plus hâtifs.

Il n’y a pas si longtemps, j’ai croisé un juge vaudois qui s’étonnait de me voir arriver à sa toute petite audience qu’il pensait pouvoir trancher à l’abri des regards. Il m’a dit: «Vous êtes là? alors je ferai mieux d’aller chercher mon code.»

Quand je repense à cette anecdote, je me dis que c’est vraiment une bonne chose d’être présent, qu’il ne faut surtout pas sacrifier ce terrain et qu’il faut continuer à être témoin de la manière dont la justice est rendue.

Merci encore de cette marque d’estime confraternelle, longue vie à la chronique judiciaire et au journalisme sous toute ses formes.

Fati Mansour